Disons que la vie serait belle s’il n’y avait allongé deux
transats plus loin un vieux dégueulasse à la grosse panse fripée comme une
poire blette et bronzée comme un étron qui racle bruyamment sa gorge toutes les
trois secondes et crache ses glaires dans les fins galets. Normal, il fume
comme un haut fourneau.
La brise légère qui monte de la mer nous apporte ses volutes
puantes ainsi que les éclats de voix qu’il échange avec sa femme qui ne lui
donne pas sa serviette assez vite, ne lui trouve pas son paquet de cigarettes à
la seconde ou a mélangé les pages de sa Stampa.
La vieille tremble chaque fois que son vieux éructe. Il faut dire qu’elle a
l’air fragile avec sa peau brûlée sur les os et son crâne déplumé comme celui
d’une poule âgée. Le couple semble des habitués de l’endroit qui viennent s’y
faire cramer l’extérieur par le soleil et l’intérieur par le tabac depuis au
moins trois siècles. S’ils le faisaient en silence, sans polluer la plage de
leurs disputes, crachats et mégots, la vie serait belle dis-je. Mais. À chaque
raclage de gorge et de crachat de mots doux, mes jeunes voisines s’exclament « Che miseria ! »
Enfin, un peu de calme. Le vieil homme s’est levé et s’est
dirigé, chancelant sur ses guibolles squelettiques, vers la mer pour y faire
trempette. Je l’observe, il s’avance dans l’eau, se racle une fois encore la
gorge et envoie un gros mollard dans la belle vague bleue qui va peut-être le
faire tomber et le noyer.
Oh, non ! « Che
miseria ! »